De Clovis à Briand : un grand récit de la laïcité

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Georges Bringuier

Un grand récit de la Laïcité

Paris, ed. L’Harmattan, 2019, 326 p.

Georges Bringuier, scientifique, inspecteur honoraire de l’Education nationale, devient un spécialiste contemporain de la question laïque. Ses nombreuses conférences sur ce thème, ses livres successifs en témoignent : « Lucy, Eve et Marianne » en 2010, « La Laïcité dans tous ses Etats » en 2016 ; « Le flamboyant destin du chevalier de la Barre » en 2017. Sans oublier deux bibliographies dont l’une sur « Charles Darwin, Voyageur de la raison » en 2012. Ces productions montrent une continuité pour effectuer des recherches passées et actuelles sur cette vertu, la Laïcité, qui complète notre pacte républicain Liberté Égalité Fraternité !

Quel drôle d’idée ! Entreprendre le récit de la laïcité en France à partir du baptême de Clovis   le 25 décembre 496 ? Et poursuivre ce récit jusqu’à la promulgation de la loi du 9 décembre 1905 sous l’égide de son rapporteur, Aristide Briand ? Un choix de l’auteur pour décrypter cette épopée liée à la construction de la laïcité, « le fruit d’un long et tortueux cheminement sur fond de conflit entre L’État français et l’Église de Rome ». Chemin faisant nous empruntons les chemins de l’histoire qui nous font croiser de grandes figures connues : Condorcet, Hugo, Ferry, … et surtout nous permettent de découvrir des personnalités plus méconnues : le pasteur Rochette pendu en même temps que les frères Guerrier décapités à Toulouse, le 19 février 1792, du seul fait d’être protestants !

Il en va de même pour des épisodes historiques inconnus de votre serviteur, comme l’histoire de la « gifle d’Agnani » infligée par Sciarra Colonna (sénateur romain) au vieux pape Boniface VIII en 1303 afin qu’il renonce à sa charge à la demande de Philippe le Bel ! Benoît VIII ayant pour seule volonté : excommunier « notre » Roi de fer ! » ! Bien plus tard Napoléon 1er convoque le Pape Pie VII pour se couronner lui-même  « Empereur… » À la fin de sa vie Napoléon, le créateur du code civil, témoignera : « Je suis entouré de prêtres qui me répètent sans cesse que leur règne n’est pas de ce monde et ils se saisissent de tout ce qu’ils peuvent. Le Pape est le chef de cette religion du ciel et il ne s’occupe que de la terre. »

Des focus parmi beaucoup d’autres pour inciter le lecteur à poursuivre sa quête dans ce récit très dense. Naturellement de longues pages sont consacrées à « l’Esprit des Lumières » qui a influencé et qui a façonné de façon continue le principe de laïcité à partir de la déclaration des droits de l’Homme [« les hommes naissent un libres et égaux… »] et les combats pour promouvoir la liberté de conscience  (Voltaire et les encyclopédistes notamment) !

Georges Bringuier effectue même un rapide détour sur l’élaboration de la Constitution Américaine (à partir de 1787), d’origine profondément laïque et ce sous l’impulsion des premiers présidents : Washington, Adams, Jefferson Madison. Jefferson précisant en 1802 que le corps législatif ne devra pas « élaborer une loi qui aurait pour effet soit d’établir une religion soit d’en interdire le libre exercice », construisant ainsi un mur de séparation entre l’Église et L’État ! Que penseraient ces pères fondateurs de la Constitution américaine suite à cette déclaration de Georges Bush père président de 1989 à 1993 : « Non je ne sache pas que les athées doivent être considérés comme des citoyens ou des patriotes. Nous sommes une nation soumise à Dieu. »

Revenons en France avec la promulgation de la loi de 1905 et les réactions virulentes du Vatican qui annonce dès 1906 que « les députés et les sénateurs qui ont voté la loi encourent l’excommunication »… Auparavant de nombreuses « passes d’armes » de nature politique ont lieu, notamment entre les radicaux emmenés par Clemenceau (appelé dédaigneusement « l’Autre » par Jaurès) et les socialistes conduits par Jaurès (avec « son atavisme catholique » selon Clemenceau). Tous reconnaîtront l’habileté de Briand pour conduire cette loi à son terme malgré ses insuffisances (la question du Concordat). Clemenceau encore lui fera preuve d’humour ! : « Poincaré sait tout mais ne comprend rien, Briand comprend tout mais il ne sait rien ! »

Les « racines » gauloises de la France sont apparues seulement sous la plume d’historiens comme les frères Thierry. En 1928, l’ « Histoire des gaulois » promeut le fameux coq gaulois (gallus) en parallèle à la réhabilitation de la Gaule et de la civilisation celte… Dans la foulée, la première statue monumentale de Vercingétorix sera élevée sur le site d’Alésia (Alise-Sainte-Reine en Côte d’Or) en 1865… puis en 1903, place de Jaude à Clermont-Ferrand…

On l’a compris, ce récit est truffé d’anecdotes inédites et de rappels historiques incontestables, les deux approches sont sérieusement et scientifiquement documentées. Au moment où sort le film « Dreyfus » dont le réalisateur est contesté, Georges Bringuier resitue ces 12 années de perturbations (1894-1906) dans le contexte d’une troisième République qui a toujours oscillé entre « mythe et réalité » y compris sur la question laïque. « Les échanges politiques sont particulièrement vifs et rugueux, mais restent toujours civilisés et d’une haute portée intellectuelle. L’intérêt général prime contre les intérêts particuliers, la raison contre la foi, la science contre la religion » rappelle l’auteur de cet ouvrage.

La question récurrente concernant les racines socioculturelles de notre France se pose donc depuis longtemps… singulièrement à la charnière du XIXème siècle et du XXème siècle. Au regard de ce récit Georges Bringuier prend position : comme on peut le constater le terme « racine » est contestable. Le terme « patrimoine » est préférable. Incontestablement quelles que soient nos croyances ou notre incroyance, la religion chrétienne nous a transmis un patrimoine culturel et architectural conséquent. Celui-ci s’ajoute à des patrimoines existants depuis la préhistoire (grottes de Lascaux). Singulièrement, suite au siècle des Lumières de nouveaux patrimoines immatériels se sont ajoutés, aujourd’hui ne convient-il pas d’y adjoindre de nouveaux patrimoines architecturaux comme les mosquées ?

Estce dû à ses origines occitanes, toulousaines ? Georges Bringuier s’attarde longuement sur la période 1209-1255, date importante selon lui de l’émergence de la laïcité avec l’épisode cathare… Les cathares ne se mêlaient pas de politique. Ils essayaient de vivre leur foi selon les préceptes du Christ et des apôtres… Par leurs comportements les cathares échappaient au contrôle traditionnel de l’Église catholique et des consignes du Vatican. Ces institutions surveillaient et dirigeaient les consciences et la société. L’épisode cathare a laissé un ferment d’anticléricalisme très fort dans le sud de la France. Georges Bringuier ajoute : il arrive aujourd’hui que mot « cathare » soit utiliser pour apostropher l’opposant, le rétif au changement…. Ne signifie t-il pas tout simplement « résistant » ?

A l’aide d’un tableau synoptique nous parcourons les grandes étapes de la laïcisation de la France, selon la logique de ce récit proposé par l’auteur. Du massacre de la Saint-Barthélemy, en 1572, aux ruptures des relations de la France avec le Vatican le 25 juillet 1904, en passant par le mariage civil en 1791 et l’abandon de la prière publique à l’ouverture d’une session parlementaire seulement en 1884 ! Des phases indicatives de cette longue présentation chronologique qui nous sert de références pour nous rendre dans le texte et obtenir des arguments utiles, le sens de cette interprétation historique pour saisir les fondements de la laïcité dans notre Pays. Des annexes, bien choisies nous permettent de d’approfondir l’étude des lois fondamentales au regard du principe de laïcité : Déclaration des droits de la femme et du citoyen 1791 ; Loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État avec des additifs, comparatifs, instructifs, des ordonnances édictées entre 1905 et 2015.

Oui, Georges Bringuier nous présente une fresque historique originale sur la forme et le fond qui nous « permet de mieux appréhender le principe de laïcité dans ce qu’il a de plus moderne. Fasse que ce récit participe au réenchantement de la laïcité !  »comme l’indique l’éditeur : l’auteur présente un « parcours chaotique et parsemé de chausse-trappes et de rivalités multiséculaires entre l’Église de Rome et la France »

Georges Bringuier annonce dès l’introduction sa volonté de dresser « une galerie de portraits de femmes et d’hommes célèbres ou oubliés de l’histoire, mais qui, par leur courage et leur détermination, pourraient inspirer nos femmes et hommes politiques contemporains. ». En lisant cet ouvrage on obtient de nouveaux éclairages, de nouvelles perspectives pour développer la Laïcité de façon encore plus universelle.

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