Charles Darwin, Voyageur de la Raison
Georges Bringuier
Toulouse, éditions Privat, mai 2012, 252p.
Lors d’un « café Philo » à Tarbes sur le thème du Vivant, la place et le rôle de Darwin dans le champ des idées, fut évoqué. La théorie de l’évolution, a été mise à mal par les tenants de thèses liées à un « dessein intelligent », un créateur divin… Sigmund Freud (1856-1939) avait tranché: « la théorie de l’évolution a détruit l’argument du dessein, de l’intention (divine), selon lequel la beauté du monde et la perfection des organismes vivants démontrent l’existence d’un créateur ». Dans un autre ordre d’idées, lors de cette même soirée, une participante m’indiqua, qu’avec son mari, ils préparaient un voyage en Australie pour visiter le musée Darwin.
Suite à ces nouvelles interrogations, je me suis « replongé », plus sérieusement, dans l’ouvrage de Georges Bringuier. Dans un premier temps, j’ai découvert que La ville de Darwin au nord de l’Australie avait été crée en 1839, par une équipe de marins et de scientifique anglais dont certains avaient vécu aux côtés de Charles Darwin, lors du voyage du Beagle. Ce port naturel est devenu une ville très attractive avec un musée des Arts Premiers remarquable. Darwin avait 30 ans lorsque le nom de cette ville lui fut attribué ! Au-delà de cet aspect anecdotique de la vie et de l’œuvre de Charles Darwin, la lecture du livre de Georges Bringuier s’impose pour faire face à nombreuses contre-vérités développées de nos jours, notamment par des créationnistes, sur le darwinisme…
Charles Darwin est né dans une famille aisée, cultivée en 1909. L’Angleterre commençait à rayonner dans le monde. L’essor de l’empire britannique trouvera son apogée avec le couronnement de la reine Victoria (1819-1901) en 1837.
Dans une première partie introductive à cet important travail, l’auteur présente le jeune insouciant Charles Darwin comme un jeune homme peu recommandable… « du véritable vaurien à l’étudiant dilettante… »
Et pourtant, à 22 ans, par un concours de circonstances heureuses, bien que de santé fragile, Charles Darwin va embarquer sur le Beagle, un modeste trois mâts, comme géologue, pour une mission scientifique autour du monde. Ce périple va durer 5 ans : les 2/3 du temps sur terre, 1/3 sur mer… Pendant plus de 100 pages passionnantes, George Bringuier nous fait partager cette aventure humaine dans des contrées reculées, sauvages, peu explorées en cette première moitié du 19 ème siècle. Un premier récit qui nous fait découvrir des paysages variées, des civilisations archaïques en devenir. Georges Bringuier utilise une forme romancée pour suivre la vie et les découvertes de ces marins et scientifiques accompagnés par des personnages autochtones hauts en couleur. Une recherche systématique de faune et de flore à peine connues. Chemin faisant ces « aventuriers » découvrent une vraie misère et des modes de vie inacceptables (esclavage, travail à la mine, brutalités envers les femmes et les enfants, anthropophagie…)
Les colonies anglaises sont omniprésentes sur ce parcours. A chaque escale, Charles Darwin envoie les recueils de données, les collections animales végétales recueillis au fil de ses déplacements. Ces données scientifiques sont stockées à Londres. Dès cette époque des travaux sont publiés par des institutions savantes. Dans cette aventure Charles Darwin bénéficie des apprentissages acquis lors de sa jeunesse : bon cavalier, bon chasseur. De même ses aptitudes à vivre avec des jeunes socialement différents lui facilite ses multiples rencontres. Il est clair que la fortune familiale et l’entre gens de sa famille, honorablement connu, y compris dans le monde scientifique, lui facilite les démarches. En lisant le « voyage du Beagle » on comprend aisément que « le jeune homme enthousiaste et novice s’est mué en scientifique expérimenté et sur de lui ».
La seconde partie de ce récit proposée par Georges Bringuier est tout aussi attractive. Nous suivons le travail de Charles Darwin qui va, pendant plus de trente ans, analysait les travaux recueillis pendant son voyage, les confrontaient à tous les savants géologues, naturalistes et autres… pour forger sa théorie sur « l’origine des espèces ». Neuf années d’études approfondies sur les cirripèdes (groupe d’animaux exclusivement marins de l’ordre des crustacés) plus ; 20 ans seront nécessaire pour forger sa théorie de l’Evolution. Charles Darwin procède de façon méthodique, avec fermeté, une grande curiosité au sujet des faits et un certain amour du nouveau et du merveilleux. Dans son autobiographie il regrette ses insuffisances sur la connaissance les langues, le français en particulier, et en mathématiques… Plus surprenant il s’avoue autodidacte ! Il concède : « J’ai travaillé aussi bien et aussi dur que j’ai pu ; nul homme ne peut faire davantage ». De plus Charles Darwin s’est toujours souciés des avis de ses contempteurs comme de ses détracteurs…
Au fil des pages le lecteur découvre le fourmillement de savants qui évoluent avec lui, contre lui… Une épopée pour cet humaniste replié sur ses terres car très malade tout au long de sa vie, très respectueux de son épouse croyante, soucieux de l’éducation et du devenir de ses enfants…
Dans cet ouvrage Georges Bringuier fait preuve d’érudition et d’une formidable aptitude pédagogique pour nous apprendre à connaître et aimer Charles Darwin. La bibliographie est concentrée sur les ouvrages essentiels écrits par Darwin lui-même. Une carte simple nous permet de suivre aisément le périple du Beagle. Comme d’habitude les notes proposées en fin de chapitres sont instructives en elles-mêmes. Un index des noms de personnes complètent cette présentation et incitent, de mon point de vue, le lecteur à revenir de temps à autres, sur des points essentiels contenus dans cet ouvrage.
Il est clair que la théorie de l’évolution est incompatible avec les dogmes religieux même si récemment le pape Jean-Paul II a reconnu que « l’évolution est plus qu’une hypothèse ». La montée en puissance de « l’intelligent design » le dessein intelligent, prôné par des évangélistes américain qui insistent pour estimer que la complexité de la vie ne peut être due qu’à l’intervention d’une intelligence supérieure, divine. » ; Où du turc, Harun Yaha (Atlas de la création), pour qui « une volonté supérieure régit toutes créatures » sont des thèses insoutenables car toutes les recherches récentes, ADN en particulier, confortent le darwinisme ! A ce propos on peut écouter avec bonheur les émissions radios de Jean-Claude Ameisen à France-Inter « Sur les épaules de Darwin » Des contenus d’émissions variées qui précisent la pertinence actuelle du Darwinisme. Rappelons les propos de Thomas Huxley (1825-1895) biologiste, paléontologue et philosophe s’adressant à un éminent archevêque qui contestait la théorie de l’évolution : Thomas Huxley répliqua avec humour qu’il « préférerait descendre d’un singe plutôt que d’un homme instruit qui utilisait sa culture et son éloquence au service du préjugé et du mensonge »
En conclusion ce livre dense nous renvoie à une période historique extraordinaire. En cette fin du XVIIIème siècle et cette première partie du XIXème siècle, la pensée française est rayonnante (siècle des lumières), mais aux dires de Montesquieu (1685-1755) c’est l’Angleterre qui fascine par son dynamisme et sa modernité dans le champ scientifique. On découvre également les « disputes » sur la paternité de théories scientifiques, par exemple entre le français Lamarque (1744-1829) considéré, lui aussi, comme l’inventeur de l’idée d’évolution avec l’anglais Erasmus Darwin (1707-1798) le grand père de Charles. Enfin on a pu penser que l’acceptation de la thèse de Charles Darwin en 1859 et ses répercussions scientifiques réelles et indiscutées à ce jour, avait mis fin au débat entre le fixisme (créationnisme), de Cuvier (1769-1832) (vérité inscrite dans la Bible et/ou une évolution programmée par une transcendance) et le transformisme (transmutation des espèces) de Lamarque…
La lecture de « Charles Darwin, voyageur de la raison » s’impose encore aujourd’hui. Comme nous le propose Georges Bringuier, comme Charles Darwin, nous souhaitons être « un honnête homme » !